Il a la démarche posée, le regard discret mais lucide, et cette manière d’articuler ses mots avec la précision de ceux qui observent plus qu’ils ne parlent. Yakhya Diallo, ingénieur chez LYCS, n’est pas du genre à forcer les portes. Il préfère les ouvrir à sa manière, patiemment, comme on dénoue un filet de pêche sans l’abîmer. Et pourtant, à 25 ans seulement, ce natif du village de Ngor, illustre quartier lébou niché au cœur de la capitale sénégalaise, incarne déjà une génération de bâtisseurs numériques capables de conjuguer excellence technique, conscience sociale et enracinement identitaire. Portrait d’un passionné d’astronomie devenu développeur Salesforce, entre rêves d’étoiles et engagement local.
Naître entre deux mondes : la terre et la mer
Né fin décembre 1999 à Ouakam, Yakhya Diallo grandit à Ngor, ce village lébou situé à l’extrémité ouest de Dakar, là où la ville s’arrête et où commence l’infini de l’océan. Loin du tumulte des tours et du vacarme des klaxons, il y respire l’odeur du sel, des filets humides au petit matin, des pirogues échouées sur la plage et du bois brûlé dans les maisons encore en veille. À Ngor, l’eau est une compagne. Elle berce, elle nourrit, elle apprend la patience. Elle impose l’humilité.
Sa mère est léboue, son père peul du Fouta. Un métissage ancien, vécu sans conflit. Le jeune ingénieur sénégalais parle quelques mots en lébou avec elle, entend le Pulaar dans les prières murmurées chez les grands-parents. Deuxième d’une fratrie de quatre enfants, seul garçon parmi trois sœurs, Yakhya apprend tôt à faire sa place sans faire de bruit. A la maison comme dans la vie, il agit à la manière des anciens pêcheurs : avec discrétion, mais détermination.
Des étoiles dans les yeux
À l’école, il se montre curieux, méthodique. Mais sa passion n’a rien d’ordinaire : Monsieur Diallo rêve d’astronomie. Les nuits passées à Ngor, où les étoiles scintillent sans filtre au-dessus des pirogues endormies, nourrissent en lui une fascination pour l’espace. Il ne voulait pas simplement comprendre le ciel. Il voulait y aller. L’astronaute, l’astronome, peu importait le costume, tant qu’il touchait les astres. Faute de fusée, il choisit le concret : un bac S3 au lycée Maurice Delafosse, avec une spécialité en technique. La mécanique appliquée devient sa rampe de lancement. Il veut comprendre les rouages, les moteurs, ce qui propulse. Puis vient la réalité : pas de cursus spatial ici. Il bifurque vers une autre constellation, plus proche, mais tout aussi complexe : l’informatique.
De l’ingénieur au développeur, en passant par les marées du doute
À l’ESP, il étudie les télécoms et les réseaux. Mais c’est Salesforce qui ouvre une brèche inattendue. Une plateforme, mais aussi un monde. Yakhya s’y engouffre avec la même concentration qu’un pêcheur réparant son filet, chaque ligne de code étant une maille de plus dans l’architecture invisible du digital. Son premier contrat le mène loin du rivage : en France, chez SUEZ, pour un projet complexe de gestion de données. Il s’y adapte, comme on apprend à naviguer sur une mer inconnue. Puis les missions s’enchaînent : AKTO, AG2R, GENIA, Bellerose… Autant de ports d’attache provisoires où il affûte ses compétences, Apex, automatisation, UX, intégration API. Son rythme est celui d’un homme en haute mer : lucide, endurant, toujours prêt à changer de cap, mais jamais sans boussole.
Partage et transmission : l’autre chantier de Yahya
Chez Yakhya, le numérique n’est pas une fin en soi. Il est un levier. Très tôt, l’ingénieur comprend que son savoir ne vaut que s’il est transmis. Alors il fonde à Dakar la communauté Trailblazer, une ruche pour les aspirants développeurs Salesforce. Il y organise des sessions gratuites, répond aux questions, guide ceux qui, comme lui, viennent de loin – de Ngor, du Fouta, de lieux trop souvent oubliés par les récits de la tech.
Son rêve secret ? Créer un programme de mentorat ancré au Sénégal, avec des passerelles vers l’emploi, du coaching humain, des ateliers concrets, loin des discours creux. Une fabrique d’espoirs, où chaque jeune serait un navigateur de son propre destin.
De l’eau aux nuages
Aujourd’hui, Yakhya se forme à l’architecture solution. Il veut comprendre les systèmes dans leur globalité, penser en amont, anticiper les collisions. Il scrute aussi l’intelligence artificielle, non pas comme une mode, mais comme un moyen : fluidifier, prédire, améliorer l’expérience utilisateur… pourvu qu’on le fasse avec les réalités africaines, non malgré elles. « On ne peut pas copier-coller ce qui marche ailleurs. Il faut construire ici. À partir d’ici. Pour nos besoins. Avec nos données », glisse-t-il.
Ligne de vie
Quand il ne code pas, Yahya court. Il court comme on pêche : avec méthode, souffle, et patience. Il court pour s’aligner, pour se retrouver, pour respirer. Il aime aussi le design, la musique, le cinéma. Ce qui est beau, ce qui dure, ce qui se travaille. Il vit toujours à Ngor. Même maison, même quartier. Comme pour rappeler que l’avenir ne se joue pas ailleurs. Il commence là. Entre deux marées. Entre un rocher et une vague. Entre ciel et eau.
Dans un secteur trop souvent bruyant, Yahya est une étoile discrète, mais constante. À 25 ans, il n’a pas encore décroché la lune. Mais il a les pieds sur le sable de Ngor, la tête dans les nuages, et le cœur tendu vers l’horizon. Et peut-être est-ce cela, être bâtisseur de futurs : ne jamais oublier d’où l’on part, même quand on s’apprête à décoller.