๐๐ง ๐๐ข๐ซ๐๐๐ญ ๐๐ฎ ๐๐๐ง๐๐ข๐จ๐ฅ (๐ฌ๐จ๐ฎ๐ฌ ๐ฆ๐จ๐ง ๐๐ซ๐๐ซ๐ ๐ฬ ๐ฉ๐๐ฅ๐๐๐ซ๐)- ๐๐ฎ๐ข๐ญ๐ – Le crรฉpuscule ร Gandiol est bien plus qu’un simple passage du jour ร la nuit. C’est un moment suspendu, oรน la terre, l’eau, et le ciel semblent se confondre dans une harmonie silencieuse, offrant une vision d’une beautรฉ brute et profondรฉment spirituelle. Le Soleil, dans sa lente descente vers lโhorizon, teinte tout dโor et de pourpre, et les ombres sโallongent, enveloppant le paysage dโune douceur presque onirique. ร cet instant prรฉcis, la nature tout entiรจre semble retenir son souffle, comme si le monde s’arrรชtait pour honorer ce spectacle quotidien mais jamais banal.
Nous, jeunes bergers, รฉtions en pleine effervescence ร cette heure-lร . Le troupeau, composรฉ de moutons, de chรจvres et de vaches, devait รชtre ramenรฉ ร lโenclos. Les gestes รฉtaient rapides, mais empreints de la familiaritรฉ dโune routine bien rodรฉe. Nous abreuvisions les bรชtes ร la riviรจre, leurs museaux trempant dans lโeau fraรฎche, tandis que nous sentions ร notre tour la fraรฎcheur du fleuve sur nos pieds fatiguรฉs. L’eau, ร cette รฉpoque, รฉtait douce, bien diffรฉrente de la salinitรฉ qui sโest peu ร peu installรฉe au fil des ans. Chaque gorgรฉe d’eau bue par les bรชtes semblait รชtre un รฉcho de la vie simple mais profondรฉment connectรฉe que nous menions.
L’air du crรฉpuscule portait avec lui une odeur particuliรจre, celle du poisson fraรฎchement pรชchรฉ. Ce parfum venait du fleuve, lร oรน les pรชcheurs revenaient aprรจs une journรฉe de travail, leurs filets pleins de poissons argentรฉs. Nous les croisions souvent, leurs visages illuminรฉs par la satisfaction d’une bonne prise. Ils chantaient des mรฉlodies douces, des refrains qui racontaient leurs histoires, leurs espoirs et leurs rรชves, des chants qui semblaient aussi anciens que la terre elle-mรชme. Cette odeur de poisson, mรฉlangรฉe ร la brise marine, รฉtait un parfum unique qui annonรงait la fin de la journรฉe, une sorte de signature olfactive du crรฉpuscule ร Gandiol.
Quand la pluie s’invitait ร la tombรฉe du jour, les bergers que nous รฉtions savions exactement quoi faire. Nous creusions des trous dans la terre meuble pour y cacher nos objets prรฉcieux, ร l’abri des gouttes insistantes. Ce geste, aussi simple soit-il, รฉtait empreint dโune sagesse ancienne, transmise de gรฉnรฉration en gรฉnรฉration. Il symbolisait notre relation avec la terre, notre capacitรฉ ร trouver dans sa profondeur un refuge contre les caprices du ciel.
Les aprรจs-midis, surtout pendant le ramadan, nous les passions ร lโombre des arbres, dans la forรชt voisine. Lโair y รฉtait frais, le silence apaisant. Ces moments รฉtaient faits de contemplation, de partage et de communion avec la nature. Loin de la chaleur รฉcrasante du Soleil, nous trouvions dans cette ombre protectrice un lieu de repos et de rรฉflexion, un espace oรน le temps semblait sโรฉtirer, oรน les prรฉoccupations du monde semblaient sโรฉloigner. Nous nous racontions des histoires, รฉchangions des pensรฉes, tout en savourant cette quiรฉtude particuliรจre qui accompagnait le jeรปne.
Mais ce qui capturait vraiment mon esprit, c’รฉtait l’embouchure du fleuve. ร Niayam, ce village qui bordait le fleuve, l’ancienne embouchure me fascinait. Lร , sous mes yeux dโenfant รฉmerveillรฉ, se jouait un phรฉnomรจne naturel d’une beautรฉ mystique : la rencontre des eaux du fleuve Sรฉnรฉgal et de l’ocรฉan Atlantique. Lโune douce, lโautre salรฉe, ces deux masses dโeau sโapprochaient, se frรดlaient, mais ne se mรฉlangeaient jamais vรฉritablement. Cette barriรจre invisible qui les sรฉparait restait pour moi un mystรจre profond. Comment lโeau pouvait-elle se comporter ainsi ? Pourquoi ne se fondaient-elles pas lโune dans lโautre ? Cette รฉnigme รฉveillait en moi une curiositรฉ sans fin, un questionnement presque mรฉtaphysique.
Bien des annรฉes plus tard, alors que jโapprenais le Coran, jโai trouvรฉ dans la sourate 55, Ar-Rahmane, une rรฉponse ร ce mystรจre qui mโavait tant intriguรฉ. Cette rรฉvรฉlation mโa bouleversรฉ, car elle venait donner sens ร cette fascination que jโรฉprouvais depuis lโenfance. Ce phรฉnomรจne, que je contemplais dans lโรฉmerveillement et l’incomprรฉhension, รฉtait en rรฉalitรฉ une manifestation de la puissance divine, une preuve tangible de lโordre divin dans lโunivers.
Le crรฉpuscule ร Gandiol, avec ses lumiรจres, ses odeurs, ses rituels et ses mystรจres, รฉtait bien plus quโun simple moment de la journรฉe. Cโรฉtait une vรฉritable expรฉrience spirituelle, une invitation ร contempler non seulement la beautรฉ de la nature, mais aussi la profondeur des lois invisibles qui rรฉgissent le monde. Chaque soir, alors que le Soleil disparaissait derriรจre lโhorizon, je me sentais en connexion avec quelque chose de plus grand, une force silencieuse mais prรฉsente, qui guidait aussi bien le cours des riviรจres que celui de nos vies.