𝐄𝐧 𝐝𝐢𝐫𝐞𝐜𝐭 𝐝𝐮 𝐆𝐚𝐧𝐝𝐢𝐨𝐥 (𝐬𝐨𝐮𝐬 𝐦𝐨𝐧 𝐚𝐫𝐛𝐫𝐞 𝐚̀ 𝐩𝐚𝐥𝐚𝐛𝐫𝐞)- 𝐒𝐮𝐢𝐭𝐞 – Le crépuscule à Gandiol est bien plus qu’un simple passage du jour à la nuit. C’est un moment suspendu, où la terre, l’eau, et le ciel semblent se confondre dans une harmonie silencieuse, offrant une vision d’une beauté brute et profondément spirituelle. Le Soleil, dans sa lente descente vers l’horizon, teinte tout d’or et de pourpre, et les ombres s’allongent, enveloppant le paysage d’une douceur presque onirique. À cet instant précis, la nature tout entière semble retenir son souffle, comme si le monde s’arrêtait pour honorer ce spectacle quotidien mais jamais banal.
Nous, jeunes bergers, étions en pleine effervescence à cette heure-là. Le troupeau, composé de moutons, de chèvres et de vaches, devait être ramené à l’enclos. Les gestes étaient rapides, mais empreints de la familiarité d’une routine bien rodée. Nous abreuvisions les bêtes à la rivière, leurs museaux trempant dans l’eau fraîche, tandis que nous sentions à notre tour la fraîcheur du fleuve sur nos pieds fatigués. L’eau, à cette époque, était douce, bien différente de la salinité qui s’est peu à peu installée au fil des ans. Chaque gorgée d’eau bue par les bêtes semblait être un écho de la vie simple mais profondément connectée que nous menions.
L’air du crépuscule portait avec lui une odeur particulière, celle du poisson fraîchement pêché. Ce parfum venait du fleuve, là où les pêcheurs revenaient après une journée de travail, leurs filets pleins de poissons argentés. Nous les croisions souvent, leurs visages illuminés par la satisfaction d’une bonne prise. Ils chantaient des mélodies douces, des refrains qui racontaient leurs histoires, leurs espoirs et leurs rêves, des chants qui semblaient aussi anciens que la terre elle-même. Cette odeur de poisson, mélangée à la brise marine, était un parfum unique qui annonçait la fin de la journée, une sorte de signature olfactive du crépuscule à Gandiol.
Quand la pluie s’invitait à la tombée du jour, les bergers que nous étions savions exactement quoi faire. Nous creusions des trous dans la terre meuble pour y cacher nos objets précieux, à l’abri des gouttes insistantes. Ce geste, aussi simple soit-il, était empreint d’une sagesse ancienne, transmise de génération en génération. Il symbolisait notre relation avec la terre, notre capacité à trouver dans sa profondeur un refuge contre les caprices du ciel.
Les après-midis, surtout pendant le ramadan, nous les passions à l’ombre des arbres, dans la forêt voisine. L’air y était frais, le silence apaisant. Ces moments étaient faits de contemplation, de partage et de communion avec la nature. Loin de la chaleur écrasante du Soleil, nous trouvions dans cette ombre protectrice un lieu de repos et de réflexion, un espace où le temps semblait s’étirer, où les préoccupations du monde semblaient s’éloigner. Nous nous racontions des histoires, échangions des pensées, tout en savourant cette quiétude particulière qui accompagnait le jeûne.
Mais ce qui capturait vraiment mon esprit, c’était l’embouchure du fleuve. À Niayam, ce village qui bordait le fleuve, l’ancienne embouchure me fascinait. Là, sous mes yeux d’enfant émerveillé, se jouait un phénomène naturel d’une beauté mystique : la rencontre des eaux du fleuve Sénégal et de l’océan Atlantique. L’une douce, l’autre salée, ces deux masses d’eau s’approchaient, se frôlaient, mais ne se mélangeaient jamais véritablement. Cette barrière invisible qui les séparait restait pour moi un mystère profond. Comment l’eau pouvait-elle se comporter ainsi ? Pourquoi ne se fondaient-elles pas l’une dans l’autre ? Cette énigme éveillait en moi une curiosité sans fin, un questionnement presque métaphysique.
Bien des années plus tard, alors que j’apprenais le Coran, j’ai trouvé dans la sourate 55, Ar-Rahmane, une réponse à ce mystère qui m’avait tant intrigué. Cette révélation m’a bouleversé, car elle venait donner sens à cette fascination que j’éprouvais depuis l’enfance. Ce phénomène, que je contemplais dans l’émerveillement et l’incompréhension, était en réalité une manifestation de la puissance divine, une preuve tangible de l’ordre divin dans l’univers.
Le crépuscule à Gandiol, avec ses lumières, ses odeurs, ses rituels et ses mystères, était bien plus qu’un simple moment de la journée. C’était une véritable expérience spirituelle, une invitation à contempler non seulement la beauté de la nature, mais aussi la profondeur des lois invisibles qui régissent le monde. Chaque soir, alors que le Soleil disparaissait derrière l’horizon, je me sentais en connexion avec quelque chose de plus grand, une force silencieuse mais présente, qui guidait aussi bien le cours des rivières que celui de nos vies.