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Pourquoi je n’aimais pas le Football à 11 : Éloge du “petit camp”

Pourquoi je n’aimais pas le Football à 11 : Éloge du “petit camp”

Le Cahier d’hivernage d’un journaliste IT – Sous ce ciel doré de Gandiol, la vie semblait se construire autour des “petits camps”, ces bouts de terrain improvisés où trois contre trois, nous devenions des guerriers, des stratèges, des danseurs sur la scène de la poussière et du vent. J’aimais ce football de proximité, cette simplicité des gestes, où chaque joueur devenait à la fois attaquant et défenseur, où nous jouions sans la pression de la victoire absolue, mais pour le pur plaisir de sentir le ballon rouler sous nos pieds. C’était une philosophie, une évasion, bien plus qu’un jeu.

Et pourtant, chaque fois que quelqu’un me demandait : « Mais pourquoi tu ne joues pas au foot à 11, avec une vraie équipe ? », je répondais toujours avec le même sourire : « Je ne veux pas me blesser. » C’était ma réponse rituelle, presque comme une parabole, car pour moi, il ne s’agissait pas seulement de blessures physiques. Jouer à onze, sur ces grands terrains parfaitement tracés, avec des règlements rigides, me semblait trop sérieux, trop structuré. Ce qui me captivait dans les “petits camps”, c’était l’absence de contrainte, la liberté du mouvement, la fluidité de l’instant. Ici, chaque partie était une page blanche où l’on pouvait improviser, s’inventer un rôle, écrire sa propre histoire.

Les grands terrains étaient des scènes trop vastes pour mon esprit en quête d’intimité, d’authenticité. Comme l’écrivait Antoine de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince, “l’essentiel est invisible pour les yeux”. Dans ces petites parties, ce n’était pas le nombre de buts qui comptait, mais les éclats de rire, les complicités silencieuses, la sueur partagée sous un soleil de plomb. Je voulais jouer dans un espace où les règles étaient dictées par notre imaginaire, où il suffisait d’un caillou ou d’un morceau de bois pour délimiter le but. Ce foot-là était mon refuge, une échappatoire à l’ordre établi, une manière de refuser, sans le dire, une discipline trop stricte.

Les routes latéritiques de Dégou-Niayes, comme les rivages du fleuve Sénégal et de l’océan Atlantique, résonnaient de nos cris, de nos courses effrénées, de nos instants de liberté. Ce cadre brut, presque sauvage, faisait écho à des textes de Rousseau sur la nature, cette vaste étendue où l’homme retrouve sa vraie essence. Ici, je me sentais en accord avec moi-même, loin des stratégies complexes des matchs à onze, des bancs de touche, des entraîneurs qui criaient des ordres. Je n’étais pas fait pour cette hiérarchie, pour cet engrenage. Le foot à onze, avec ses clubs, ses compétitions, était une arène de performance, une quête de résultats. Mais moi, je n’étais pas en quête de gloire ; j’étais en quête d’expérience, de moments partagés, de plaisirs simples.

Les “petits camps”, c’était la liberté incarnée. Pas de maillots officiels, pas d’arbitres, seulement nous et le terrain que nous dessinions du bout de nos pieds. Ce jeu nous rapprochait de l’essence même du football, un retour à la terre, au sable, à la poussière. C’était un football originel, comme le décrit si bien Albert Camus dans Le Premier Homme, lorsqu’il évoque ces parties improvisées dans les rues d’Alger, où l’on joue pour le plaisir, pour l’instant présent, loin des contraintes du monde adulte. Comme Camus, j’ai appris bien des choses sur l’esprit humain en jouant au foot. Mais ce que j’ai vraiment appris dans les “petits camps”, c’était l’humilité, la fraternité, l’art de se contenter du peu et de le transformer en or.

Même à Saint-Louis, au collège André Peytavin, quand je voyais ces grands terrains où d’autres rêvaient de devenir des stars du football, moi, je préférais notre “Terrain Glace”. Ce lieu, avec son sol glissant, faisait de chaque passe une danse, de chaque tir une œuvre d’équilibre et de précision. Là, tout était plus vivant, plus vrai. Nous ne jouions pas pour être vus, mais pour ressentir. Abdou Karim, Souleymane, et ces talibés qui nous rejoignaient trouvaient dans ces moments une manière de fuir l’ordinaire, une parenthèse enchantée. Nous étions les maîtres du terrain, même si ce terrain n’était fait que de carreaux glissants. Et dans ces moments, je n’avais besoin de rien d’autre.

Le foot à onze ne me faisait pas rêver, car il me privait de cette magie, de ce plaisir pur et immédiat que je trouvais dans les “petits camps”. Et peut-être qu’en fin de compte, c’est pour ça que je répondais toujours à cette question par un refus. Ce football-là me suffisait. C’était plus qu’une distraction, c’était un apprentissage de la vie. Ne pas se blesser, c’était aussi choisir de préserver cet espace d’insouciance, de simplicité, qui m’avait tant appris. Dans ces moments de course, de souffle court, de fatigue partagée, j’avais découvert une philosophie de vie.

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