La Silicon Valley, berceau de l’innovation mondiale, a récemment accueilli le Président Bassirou Diomaye Faye et une délégation d’acteurs du numérique sénégalais pour une visite historique. Parmi eux, Momar Diop, Président de Sen Startup, a porté haut les couleurs du Sénégal et témoigne ici d’un moment clé pour l’avenir technologique du pays. Ce déplacement stratégique incarne une nouvelle ère, marquée par une ambition claire : transformer le Sénégal en leader africain de la technologie et de l’intelligence artificielle.
Avec une volonté affichée d’impliquer davantage le secteur privé, le président et son ministre ont multiplié les rencontres avec les géants technologiques pour renforcer les partenariats. Pour le président de Sen Startup, ce déplacement a non seulement confirmé l’engagement des autorités à faire du numérique une priorité nationale, mais aussi donné des perspectives tangibles d’investissements et de collaboration avec les acteurs locaux.
Dans cette interview exclusive, Monsieur Diop nous livre ses impressions, revient sur les actions fortes posées par le nouveau régime pour accélérer la digitalisation et l’innovation, et évoque les attentes du secteur privé pour concrétiser ce “New Deal technologique“.
Le Tech Observateur : Quel sentiment avez-vous eu en visitant la Silicon Valley avec le Président de la République ?
Momar Diop : Un sentiment d’optimisme vis-à-vis de la vision affichée par le Président de la République, M. Bassirou Diomaye Faye, mais également son ministre, M. Alioune Sall, en ce qui concerne le niveau technologique, sur les différents axes. Mais surtout, ce qui nous marque, ce sont les échanges avec le secteur privé qui nous ont édifiés sur leur volonté de vraiment impliquer le secteur privé, de s’appuyer sur ce secteur privé pour faire du Sénégal un hub en technologie et en IA. Donc vraiment, un sentiment d’optimisme. Et on est également rassuré par rapport à leur ambition et au fait qu’ils veuillent et soient volontaires sur le fait d’impliquer le secteur privé.
Le Tech Observateur : Comment ressentez-vous le changement par rapport au régime précédent ?
Momar Diop : Mon mandat à la présidence de Sen Startup a coïncidé avec l’arrivée du nouveau régime. J’ai pris la tête de Sen Startup un mois avant. Je n’ai pas connu l’ancien régime à la tête de Sen Startup. Néanmoins, avec un peu de recul et un regard à froid factuel, je peux dire que le nouveau régime dit clairement sa volonté de faire du numérique une priorité. Ce nouveau régime le dit et pose des actes qui le montrent, ce qui était moins le cas, ce qu’on a moins senti, en tout cas de ma fenêtre, ce que j’ai moins ressenti sous l’ancien régime. Les actes posés par le nouveau régime permettent vraiment de voir qu’il y a une volonté de faire avancer le pays en termes d’économie numérique, de vraiment s’appuyer sur l’économie numérique et de pousser un peu plus loin la digitalisation de la fonction publique dans le pays. Donc oui, le sentiment par rapport à l’ancien régime, c’est que la place donnée au numérique semble plus importante. Au-delà des paroles, les actes posés nous permettent de le croire et donc nous rendent enthousiastes, nous acteurs du secteur privé, nous acteurs du numérique. Et on s’en réjouit parce que c’est la démarche prise par les pays développés, c’est la démarche prise par les pays qui sont leaders, qui se sont beaucoup appuyés et qui s’appuient encore beaucoup sur la technologie, sur le numérique, pour le bon fonctionnement du pays, pour bien servir les populations et aussi pour bien servir l’économie, le numérique étant un point important de l’économie de ces pays-là.
Le Tech Observateur : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant cette visite ?
Momar Diop : La première chose, j’allais parler d’accessibilité, mais non, c’est plutôt la volonté du Président et du ministre de clairement s’opposer et d’avoir un discours franc et volontariste avec le secteur privé pour exprimer la volonté de s’appuyer sur les acteurs du secteur privé, et je dis bien s’appuyer sur les acteurs du secteur privé, pour le développement de l’économie numérique et pour faire du Sénégal un hub en technologie, un hub en intelligence artificielle. Et cela a été appuyé par un acte fort que nous avons vu dans différentes rencontres. À chaque fois, nous avons vu le Président de la République orienter les partenaires et investisseurs vers les acteurs du secteur privé, nouer des partenariats et concrétiser quelque chose pour le pays, pour les investissements dans le pays. Donc oui, pour moi, c’est quelque chose de fort, c’est quelque chose qui m’a quand même marqué, parce que cela rend concret. Ce ne sont plus des paroles, il y a des actes qui suivent et qui confortent dans la volonté exprimée de s’appuyer sur le secteur privé.
Le Tech Observateur : Comment le “New Deal technologique” théorisé par le régime va-t-il se matérialiser ?
Momar Diop : Je vais plutôt parler de ce que nous préconisons, la manière dont nous voyons les choses. Le “New Deal” présente quatre axes : un axe infrastructure, un axe digitalisation du secteur public, un autre axe réforme financière pour booster les investissements, et un dernier qui consiste à transformer le Sénégal en un hub technologique, un hub d’intelligence artificielle. Sur le premier axe, l’infrastructure, on entend par là le fait d’avoir des data centers en local, d’être souverain et d’avoir une bonne couverture Internet. Notre préconisation est que sur ces sujets-là, vu la technicité, la complexité des sujets et la lourdeur des investissements, je verrais plutôt des partenariats avec de grandes firmes comme Microsoft, Google, Amazon, pour qu’ils installent leurs data centers au Sénégal. Que le Sénégal soit le pays de l’Afrique de l’Ouest dans lequel ils vont faire leurs investissements de data centers. Ce qui nous ramène de la connaissance, du savoir-faire, de l’investissement dans le pays, parce que c’est du matériel qui sera installé, c’est du savoir-faire, ce sont des individus qui seront formés et recrutés dans ce secteur-là, ce qui va dynamiser systématiquement le pays sur ce secteur-là.
Donc sur tout ce qui est data center, en ayant des data centers en local, la donnée sera localisée. On peut imaginer que cette dynamique puisse également permettre d’avoir ces mêmes partenaires ou les mêmes acteurs fournisseurs qui vont travailler dessus, qui vont aider à travailler sur les data centers que nous avons déjà en local, qui ont un certain niveau et qui, en cas de besoin de mise à niveau, pourront l’être grâce à ces acteurs-là qui sont à la pointe de ce qui se fait en termes de data centers. Cela nous ferait des acteurs privés qui installent leurs data centers au Sénégal. La donnée est localisée, et les data centers du pays ne sont pas simplement ceux de l’État, mais aussi des acteurs privés en compétition et en coopération pour se mettre à niveau des standards internationaux.
Sur la partie couverture internet, le plus rapide aujourd’hui, c’est de s’appuyer sur les connexions via satellite. Je pense que des initiatives sont lancées là-dessus pour travailler avec des compagnies comme Starlink, pour ne citer que celle-là. Il faut accélérer cette mise à niveau de l’infrastructure, et cela passe par des gens qui savent déjà faire. Un transfert de technologie pourra se faire auprès du Sénégal.
Pour la digitalisation du secteur public, il y a plusieurs axes : l’administration, la santé, l’agriculture, l’éducation, et le commerce. Sur l’administration, l’État peut être force de proposition, car ce sont ses processus, mais peut aussi s’appuyer sur les startups pour apporter des solutions. Dans les secteurs de la santé, l’agriculture, l’éducation, et le commerce, les startups ont déjà innové, et l’État devrait s’appuyer sur elles pour accélérer la mise en œuvre de solutions numériques. Cela permettrait de dynamiser l’écosystème, de créer de la compétition et de l’innovation entre les startups, ce qui est bénéfique pour l’emploi et l’amélioration des conditions de vie.
Le Tech Observateur : Quelle contribution le secteur numérique peut-il apporter au développement du Sénégal ?
Momar Diop : La contribution des startups et du secteur numérique consiste à faire leur travail : innover, créer des solutions. Le fait de bien le faire attirera des investissements dans le pays, sous forme de prises de participation (equity) dans les entreprises. Par exemple, lorsqu’une entreprise reçoit 2, 5 ou 10 millions d’euros d’investissement, ces fonds sont injectés dans l’économie sénégalaise, créant ainsi des emplois. Le secteur privé est aussi appuyé pour gagner des subventions (grants), qui représentent des millions d’euros ou des milliards de francs CFA injectés dans l’économie. Les partenariats de développement, soutenus par un secteur dynamique et un gouvernement volontariste, jouent un rôle crucial pour attirer des investissements dans les programmes au Sénégal.
Le secteur numérique contribue aussi à la digitalisation des services de l’État, en appuyant les startups pour résoudre les problèmes et faciliter l’accès aux populations, même dans les zones les plus reculées du pays. L’accès à internet est essentiel pour permettre aux solutions numériques de prospérer et d’avoir un impact significatif.
Le Tech Observateur : Avez-vous l’espoir que l’État fasse plus confiance aux acteurs locaux après cette expérience ?
Momar Diop : Oui, carrément. L’expérience va au-delà des discours. Les actes posés par le nouveau régime, comme le voyage avec le secteur privé et l’orientation des partenaires vers les acteurs locaux, renforcent cette confiance. Cependant, il est aussi nécessaire que les mécanismes de soutien financier, tels que le FONSIS, l’ADPME, et le Bureau de mise à niveau, accompagnent de manière volontariste les startups pour réussir ce “New Deal technologique” au bénéfice de l’État, du secteur privé, et du pays dans son ensemble.
Le Tech Observateur : Quelles sont vos attentes vis-à-vis de l’État pour les startups, au-delà des dispositifs existants ?
Momar Diop : Bien que des dispositifs d’accompagnement existent déjà, comme l’ADEPME et le Bureau de mise à niveau, il est crucial d’exonérer les startups des charges sur les salaires et sur la création d’emplois pendant cinq ans. Cela encouragerait la création d’emplois et l’innovation, en facilitant la croissance des jeunes entreprises. C’est une mesure qui permettrait de soutenir le développement des startups et de renforcer l’écosystème numérique au Sénégal.